Les signatures géochimiques d’artefacts en pierre comme traceurs des voyages inter-insulaires polynésiens dans l’ouest du Pacifique au cours du dernier millénaire

Une étude archéométrique basée sur la signature géochimique d’artefacts en pierre a été menée par des chercheurs CNRS de l’UMR 8068 Temps et de l’IPGP en collaboration avec les archéologues du Centre Culturel du Vanuatu. Celle-ci a permis de montrer l’existence de multiples interactions à très longue distance entre les polynésiens de l’ouest du Pacifique (“Polynesian Outliers”), l’aire culturelle polynésienne principale dans le Pacifique central, et plusieurs autres sociétés océaniennes.

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Les Polynesian Outliers

Les peuples polynésiens sont connus pour leurs compétences en termes de navigation en haute mer qui leur a permis de découvrir et de peupler quasiment toutes les îles de l’Océan Pacifique bien avant les premiers voyages transatlantiques des navigateurs européens. Mais si le peuplement du « Triangle polynésien » (jusqu’à l’Ile de Pâques/Rapa Nui à l’Est, Hawai’i au nord, et la Nouvelle-Zélande/Aotearoa au sud) est maintenant relativement bien daté, les migrations de ces sociétés vers l’ouest restent très largement méconnues. Il existe pourtant un ensemble d’au moins 18 sociétés de langue et de culture polynésienne installées dans tous les archipels compris entre le 180e méridien et la Papouasie-Nouvelle-Guinée. L’histoire de ces sociétés, notamment la chronologie et l’origine des migrations, mais aussi le degré d’interaction avec les sociétés voisines de l’ouest du Pacifique restent très mal connus.

Les interactions à longue-distance impliquant les polynésiens de l’ouest du Pacifique au cours du dernier millénaire, telles que mises en évidence par la géochimie.

L’interconnectivité entre les polynésiens et leurs voisins

Afin de mieux comprendre les liens entre ces polynésiens de l’ouest du Pacifique et les autres sociétés océaniennes, l’équipe multidisciplinaire a mené une étude géochimique complète d’outils en pierre collectés lors de plusieurs expéditions archéologiques menées entre 1978 et 2019 dans plusieurs îles des archipels du Vanuatu, des Iles Salomon et des Iles Caroline. En comparant les signatures géochimiques et isotopiques de ces artefacts avec celles des roches des différents archipels de la région, l’équipe a pu identifier leur origine géologique. Cette étude, menée par des chercheurs CNRS de l’UMR 8068 Temps et de l’Institut de physique du globe de Paris (Université Paris Cité, IPGP, CNRS) montre ainsi sans ambiguïté l’existence de multiples importations vers les installations polynésiennes de l’ouest du Pacifique depuis les Iles Samoa dans l’aire culturelle polynésienne principale, et depuis les iles voisines peuplées par des sociétés océaniennes non-polynésiennes. L’étude montre notamment que la plupart des lames d’herminette polynésiennes analysées ont une provenance commune et clairement identifiée à plus de 2500 km, dans une carrière des îles Samoa. Par ailleurs, les échanges identifiés entre différentes îles éloignées laissent penser que les navigateurs polynésiens ont joué un rôle important dans la diffusion de certaines pratiques culturelles et techniques à l’ensemble des sociétés insulaires du Pacifique occidental au cours du dernier millénaire.

Les progrès de l’archéométrie des provenances

Les analyses de provenance fondée sur l’identification des signatures géochimiques et isotopiques permettent d’identifier l’origine géologique des artefacts en pierre et dans les îles du Pacifique ce type d’étude est utilisé depuis plus de 30 ans pour tracer des transferts d’objets entre des archipels parfois très distants les uns des autres. Ces preuves matériellessont les éléments centraux pour appréhender la mobilité interinsulaire et la place des contacts intercommunautaires dans l’évolution des systèmes culturels océaniens sur la longue durée.
Dans cette étude, la spectrométrie de masse et la spectroscopie d’émission atomique ont été utilisées pour mesurer les concentrations en oxydes, en éléments en trace et les ratios d’isotopes radiogéniques afin de caractériser les roches et trouver leur source géologique avec plus de précision. Par ailleurs, une approche innovante a été développée pour systématiser et rendre plus transparente et reproductible l’analyse comparative entre les compositions analysées et les référentiels de données géochimiques qui existent pour la région Asie-Pacifique. Le pipeline analytique mis en place permet d’interroger les bases de données Pofatu (https://doi.org/10.5281/zenodo.4726799) et GEOROC (https://georoc.eu). Cette étude fournie également les outils nécessaires permettant la reproduction de toutes les étapes d’analyse en fournissant un accès libre aux données brutes et aux scripts R dans des répertoires publics sur GitHub et Zenodo.

Hermann, A., Gutiérrez, P., Chauvel, C., Maury, R., Liorzou, C., Willie, E., Phillip, I., Forkel, R., Rzymski, C., Bedford, S., 2023. Artifact geochemistry demonstrates long-distance voyaging in the Polynesian Outliers. Science Advances 9, eadf4487. https://doi.org/10.1126/sciadv.adf4487