Plant based red colouration of shell beads 15,000 years ago in Kebara Cave, Mount Carmel (Israel)

Une équipe internationale d’archéologues, d’archéomètres et de chimistes dirigée par Laurent Davin (Université hébraïque de Jérusalem et CNRS) et Ludovic Bellot-Gurlet (laboratoire MONARIS, Sorbonne Université/CNRS) a découvert les plus anciennes traces au monde de colorant organique rouge, une couleur hautement symbolique durant toute la Préhistoire. Ces éléments proviennent de la Grotte de Kebara (culture natoufienne vers 13 000-9 700 ans avant notre ère), dans le Mont Carmel (nord d’Israël), fouillée en 1931 par des archéologues britanniques. Cette grotte, occupée pour des activités domestiques et symboliques, a abrité les premiers chasseurs-cueilleurs à adopter un mode de vie sédentaire il y a 15 000 ans. Le colorant organique rouge a été découvert sous forme de résidus décorant initialement des perles en coquillage provenant de sources proches, comme la mer Méditerranée, ou plus lointaines, comme la mer Rouge et des gisements fossiles situés à environ 400 km.

Perle en coquillage du Natoufien ancien de la grotte de Kebara (c. 15 000 ans BP) avec des résidus de colorant rouge organique fabriqué à partir de racines de Rubiacées comme la garance (à droite)

Perle en coquillage du Natoufien ancien de la grotte de Kebara (c. 15 000 ans BP) avec des résidus de colorant rouge organique fabriqué à partir de racines de Rubiacées comme la garance (à droite) © Davin et al 2023

Des analyses archéométriques ont montré que ce colorant préhistorique était fabriqué à partir de plantes par une transformation complexe des racines de Rubiaceae (famille de la garance) originaires du bassin méditerranéen. Ce colorant natoufien fait reculer de 10 000 ans la première apparition de la garance rouge, qui était déjà connue puisque son rouge intense a été prisé par les artistes, les peintres et les teinturiers pendant des milliers d’années à travers l’antiquité et l’histoire récente. On la trouve, par exemple, dans la tombe de Toutankhamon, le Suaire de Turin ou les peintures de Van Gogh. Cette découverte suggère le développement de nouvelles connaissances techniques et botaniques par les habitants de la Grotte de Kebara, qui ont peut-être mis au point ce colorant pour faire paraître leurs ornements plus rouges que les autres Natoufiens qui n’utilisaient que des colorants minéraux tels que l’ocre. En effet, cette première révolution de la couleur rouge pourrait refléter l’augmentation de l’expression des identités personnelles et collectives générée par l’avancée de la sédentarité et de la territorialité. Cette découverte apporte également de nouvelles données essentielles sur l’ancienneté et le développement de la variété des colorants préhistoriques, notamment à l’aube de la domestication des plantes et des animaux au Proche-Orient qui influencera, plus tard, l’Europe.

Analyse par spectroscopie Raman d'une perle de coquillage au laboratoire MONARIS (Sorbonne Université/CNRS)

Analyse par spectroscopie Raman d’une perle de coquillage au laboratoire MONARIS (Sorbonne Université/CNRS) © Davin et al 2023

Cette découverte est très importante pour plusieurs points :

_ Il s’agit de la plus ancienne preuve de la fabrication et de l’utilisation d’un colorant rouge organique au niveau mondial.

_ Cela ajoute un aspect comportemental jusqu’alors inconnu des sociétés natoufiennes, à savoir une tradition bien établie de transformation non alimentaire des plantes au début du mode de vie sédentaire et avant la domestication des plantes.

_ Le développement de ce colorant illustre la réponse de l’innovation à un besoin croissant de marquer et de transmettre les identités individuelles et collectives au cours d’une période cruciale de l’histoire de l’humanité.

Perspectives ouvertes :

Les recherches futures sur ces colorants pourraient concerner l’analyse génomique des Rubiacées Natoufiennes pour éclairer l’histoire de la domestication de la garance (dont l’origine n’a pas encore été établie) ou l’utilisation des parties aériennes de la garance à des fins médicinales (tiges et feuilles pour leurs propriétés aphrodisiaques, antibactériennes et antioxydantes). Notre découverte pourrait conduire à d’autres découvertes du même type grâce au réexamen des collections de parures mises au jour sur d’autres sites du Proche-Orient. Elle donnera ainsi un nouvel élan à la recherche sur les colorants préhistoriques et la transformation non alimentaire des plantes.

Résumé de l’article (traduit en français) :

Décorer l’espace de vie, les objets, le corps et les vêtements avec de la couleur est une pratique humaine très répandue. Alors que l’utilisation habituelle de pigments minéraux rouges (tels que l’oxyde de fer, par exemple l’ocre) par les humains anatomiquement modernes a commencé en Afrique il y a environ 140 000 ans, la plus ancienne preuve de l’utilisation de pigments rouges organiques à base de plantes ou d’animaux date de seulement 6 000 ans. Nous rapportons ici la plus ancienne preuve fiable de l’utilisation de pigments rouges organiques il y a 15 000 ans par les premiers chasseurs-cueilleurs sédentaires du Levant. Les analyses SEM-EDS et la spectroscopie Raman de 10 perles de coquillage colorées en rouge nous ont permis de détecter et de décrire l’utilisation d’un colorant composé de racines de plantes Rubiaceae (Rubia spp., Asperula spp., Gallium spp.) pour colorer des parures du Natoufien ancien de la Grotte de Kebara, au Mont Carmel, Israël. Cette étude ajoute un aspect comportemental jusqu’alors inconnu des sociétés du Natoufien, à savoir une tradition bien établie de transformation non alimentaire des plantes au début du mode de vie sédentaire. Grâce à une approche multidisciplinaire combinée, notre étude élargit les perspectives sur les pratiques ornementales et les chaînes opératoires des matériaux de pigmentation pendant une période cruciale de l’histoire de l’humanité.

Contact : Dr. Laurent Davin
The Hebrew University of Jerusalem
Institute of Archaeology
CNRS, UMR 8068, Nanterre, France

laurent.davin.etu@gmail.com

Davin L, Bellot-Gurlet L, Navas J (2023) Plant-based red colouration of shell beads 15,000 years ago in Kebara Cave, Mount Carmel (Israel). PLoS ONE 18(10): e0292264. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0292264