TECHNOCRITIQUE(S) : RETOUR SUR 3,3 MILLIONS D’ANNÉES D’EXTÉRIORISATION TECHNIQUE DES CAPACITÉS
organisé par
le labex Les passés dans le présent et la MSH Mondes
du 25 au 27 septembre 2024 (Paris et Nanterre)
Partout où le numérique et l’usage des IAs se répandent, quel que soit le domaine de la créativité ou de l’activité humaine, l’impression de tenir une technologie tout terrain, totale voire universelle n’a jamais été aussi forte. On ne peut ignorer que la révolution numérique, tout en offrant en apparence simplicité et confort d’usage, s’est accompagnée d’une invisibilisation toute aussi remarquable de son infrastructure, maintenant les utilisateurs dans l’ignorance des processus et des composantes matérielles du moindre outil qu’ils ont en main. L’Homo confort, comme l’appelle l’anthropologue italien Stefano Boni (2022), vit dans un monde hypertechnologique dont il ignore la plupart des circuits. Comment comprendre cette infrastructure du moindre effort si singulière dans laquelle nous vivons, resituée à l’échelle de 3,3 millions d’années d’extériorisation technique (Leroi-Gourhan 1964) ? Fallait-il 3,3 millions d’années d’expérimentation pour en arriver là ou, au contraire, oublier toute notre histoire pour accepter une telle configuration ? Extériorisation a-t-elle toujours rimé avec émancipation, optimisation (de l’effort) ou bien avec réduction (des capacités) ? Pourquoi certaines techniques semblent-elles nous avoir rendus plus intelligents, plus sociables, plus humains tandis que d’autres nous ont permis d’atteindre des seuils inédits d’inhumanité, de paresse ou encore de solitude ? Il serait réducteur de voir dans le phénomène de délégation accélérée auquel nous assistons la conséquence de l’explosion récente des performances de calcul des ordinateurs couplée à des volontés de réorganisation économiques, politiques, sociales et culturelles. Les premiers outils en silex ne se sont-ils pas répandus de la même façon, comme autant de technologies de déportation des capacités physiques et mentales, changeant l’infrastructure même de nos efforts ? Elles ont peut-être avec la même prétention universalisante déchaîné chez leurs utilisateurs une jouissance comparable et provoqué, qui sait, le même oubli (technologique) de soi et des formes variées d’addiction. Peut-on imaginer une autre histoire de l’extériorisation des capacités sur la longue durée, qui cesserait d’aller du simple au complexe ou d’osciller entre progrès et dégénérescence, mais serait plus fidèle à la multitude des expérimentations en externalisation qui furent celles des humains à travers le temps pour s’autoorganiser, décider librement ou à l’inverse se voir imposer ce qu’il était bon pour eux de déléguer, de collectiviser ou d’assister (Graeber et Wengrow, 2021)3 ? Tels sont quelques-uns des problèmes que ce colloque abordera. Afin de couvrir le spectre immense des questions posées par la déportation technique, de la (pré)histoire à nos jours (sans oublier ses formes encore à venir), seront mis en place des ateliers de travail collectifs ouverts à toutes les disciplines des sciences humaines et couvrant toutes les époques, mais aussi ingénieurs, artistes, designers. Il s’agit d’opérer un retour magistral sur 3,3 millions d’années de délégation technique dans tous les domaines de l’activité humaine et de se poser la question : comment réinventer la technocritique ?
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